Les pratiques somatiques en entreprise : dynamique en action
Dernière mise à jour : 24 févr.
Les pratiques, comme le Pilates, le yoga, le Feldenkrais ou la Technique Alexander, invitent à mieux prendre conscience de son corps, de ses rapports avec notre esprit. Elles sont un moyen d’améliorer nos relations aux autres et à notre environnement de travail. Au-delà d’un phénomène de mode, Erika Réault nous explique le rôle de ces pratiques pour le bien-être et la santé au travail.
Quel bien-être ?
Récemment quelques ouvrages ont voulu démontrer que les courants promouvant le bien-être en entreprise étaient peut-être la dernière technique taylorienne. Après avoir essayé toutes les tactiques de management, tous les modes d’organisation, du management par objectifs au management participatif, les directions se disent qu’en se focalisant sur les acteurs et en les amenant à être plus heureux, ça les amènera à être plus individualistes.
En poursuivant leur bonheur personnel, les individus ne s’engageront plus dans des conflits collectifs, que l’on veut éviter. Ce serait ainsi la dernière tactique pour discipliner l’entreprise, et éviter que les gens s’allient contre le mode de travail.
Afin d’éviter un procès d’intention, il faudrait plutôt souligner que la maladresse risque parfois de faire passer à côté de l’essentiel. Cela pose la question de l’intention des managers lorsqu’ils décident de mettre en place une activité en vue de développer le bien-être au travail. S’agit-il d’une activité ponctuelle, coupée de vrais besoins des employés, instaurée pour simplement les amuser ? Ou s’agit-il d’une démarche plus profonde qui participe de manière concrète à la qualité de la vie au travail (QVT) ?
Bien entendu les pratiques somatiques, de la même manière que les activités physiques en entreprise, ne répondent qu’à certains aspects de la qualité de vie au travail, qui recouvre de nombreux leviers : conditions de travail, environnement, sécurité, santé, formation et évolution professionnelle. Les pratiques somatiques agissent spécifiquement sur la prévention santé (prévention de troubles musculosquelettiques, gestion de stress, concentration, équilibre vie privée et professionnelle, meilleure connaissance de son corps et de ses émotions...).
D’autre part, peut-on dire "qu’en se focalisant sur les acteurs et en les amenant à être plus heureux, ça les amènera à être plus individualistes" ? Cela dépend du sens que nous donnons au bonheur. Désormais, nous sommes de plus en plus conscients qu’un bonheur individualiste, égocentrique ne permet pas de répondre par exemple aux enjeux climatiques. Une fois de plus, les pratiques somatiques, comme n’importe quel outil, sont au service du sens que nous donnons au bonheur, à notre vie.
Si le bien-être n’est pris que comme un produit à consommer, on passe à côté des pratiques somatiques, c’est-à-dire des pratiques qui apprennent à apprendre. La personne devient acteur de son propre apprentissage.
Plutôt que de parler de développement personnel, il s’agit plus d’une prise de conscience de notre corps et de ce que nous sommes. Ce sont des pratiques qui aident la personne à clarifier sa position, à mieux comprendre son comportement, et par là même ses interactions avec les autres et l’entreprise.
Pratiques somatiques et psychologie
Mais le marché du coaching individuel propose de nombreuses techniques comme la PNL, l’analyse transactionnelle, etc. Quelles sont les particularités, les avantages des pratiques corporelles et somatiques, d’auto-connaissance ? Sont-elles complémentaires à ces autres techniques ?
Le terme "somatique" a été utilisé dans les années soixante-dix par le philosophe Thomas Hanna pour désigner un ensemble de pratiques souvent nommées "pratiques corporelles douces", qui proposent des apprentissages du mouvement et de l’action où le rôle central de la perception (du sentir, de la sensation, de la "prise de conscience", etc.) est souligné.
Actuellement, il existe différentes méthodes comme le Feldenkrais, la Technique Alexander, le Rolfing, le Body Mind Centering, etc. Chacune à sa spécificité, mais on trouvera dans chaque pratique quatre principes communs : le lien entre le corps et l’esprit. Le corps ici est pensé comme un ensemble indivisible, singulier, relié à l’intérieur de lui-même, à l’environnement, à la temporalité et aux autres. Les relations comptent autant, voire plus, que les parties.
Grâce au développement de nos perceptions, nous devenons plus conscients de notre corps. Celui-ci est traité comme un microcosme, un écosystème complexe, de la même manière que le monde extérieur. Nous prenons conscience grâce à ces méthodes que la frontière entre notre corps, la peau, et l’environnement est très perméable. Par ailleurs, plus nous sommes connectés à nos sensations, plus nous sommes encrés à la terre, à sa gravité, au poids du corps et étonnamment à sa légèreté, car cette conscience nous invite à utiliser encore plus nos appuis au sol, ce qui va faciliter le mouvement.
Le monde occidental fait fortement la distinction entre l’intellect et le corps. Depuis Descartes, la tête a été coupée de son corps. Les pratiques somatiques sont nées en réaction à cette coupure corps-tête, et cherchent à les réconcilier. On ne peut pas être complètement intellect ou complètement corporel, il y a un va-et-vient permanent : des sensations, des émotions et des pensées.
En concevant le corps comme un ensemble indivisible de corporéité physique, sensible, mental, inséparable de ses milieux, les pratiques somatiques nous rendent capables de retrouver des connexions que la vie moderne a souvent rompues. C’est ainsi que l’on parle d’intelligence somatique.
Le somatique est impliqué, mais le psychologique aussi. Et le psychologique va aborder la personne sous d’autres angles. Comment s’articulent l’approche psychologique, qui va chercher les causes des dysfonctionnements, et l’approche somatique? Y a-t-il une part de psychologie dans les pratiques somatiques, alors que chez les psychologues et psychiatres, il n’y a pas de pratiques somatiques ?
Les pratiques somatiques ne sont pas dans l’analyse psychologique, elles ne travaillent qu’à partir du corps, des sensations que l’on peut recueillir du corps. Ces sensations vont générer des émotions, des interprétations de la part de la personne, donc la partie psychologique peut apparaître ici. Mais cela reste cantonné à ce champ d’exploration.
A la base ces méthodes ne recherchent pas à interpréter un comportement ou à résoudre un problème psychologique. Elles se focalisent avant tout sur le corps. Cependant ces pratiques peuvent se lier à une méthode thérapeutique, de l’esthétique (les artistes y ont régulièrement recours) ou encore du développement personnel. Les applications sont multiples. En ce qui concerne la thérapie, cela implique que les praticiens en pratiques somatiques aient en plus une formation en science de la psychologie.
Au cours d’une séance, on constate que des réactions psychologiques peuvent surgir pendant un mouvement. Pour éviter des débordements, des ressentis désagréables ou des douleurs que pourrait ressentir la personne, on reste volontairement dans une zone de confort. On crée un espace sécurisant pour la personne, un espace où elle n’aura pas froid par exemple. On proposera également des mouvements adaptés à la personne, à ses limites et qui ne sont pas évidemment source de douleur. Et si elle est gênée, on fera tout pour qu’elle retrouve cette zone de confort. Ensuite, elle décidera à quel moment elle peut aller plus loin dans l’expérimentation corporelle.
Le rapport entre le praticien et le pratiquant est d’égal à égal, il n’y a pas de rapport hiérarchique. Il n’y a pas un qui sait plus que l’autre. Il s’agit ici d’échange, d’un vrai dialogue. Le praticien doit rester humble dans sa fonction. C’est-à-dire qu’il doit être un outil qui permet à la personne, d’une manière autonome, de trouver son propre chemin.
Mais la relation au corps vient de l’histoire des gens, de leur petite enfance, leur histoire personnelle... Quand on essaye de rendre les gens plus à l’aise dans leurs relations corporelles, on peut en rencontrer qui ont des difficultés avec ces relations du fait de leur propre histoire, de leur propre psychologie...
Dans le cas de dépression, de grande tristesse, les séances peuvent être individuelles, et il est conseillé d’aller consulter un professionnel de la psychologie.
Ce n’est pas du rôle du praticien somatique de l’aider dans le cas d’un problème psychologique. Parfois, ça réveille des émotions très fortes ou des souffrances, et il faut se maintenir dans les limites de la méthode. Par exemple, un de mes professeurs a eu une personne qui à la fin des séances de Feldenkrais collectives pleurait fréquemment. Ils ont discuté ensemble pour comprendre les causes de ce problème. Cette personne savait que cette réaction était plus forte qu’elle. Comme elle voulait continuer les séances, ils ont décidé de continuer et si cela était trop gênant pour elle et le groupe, elle pouvait à tout moment faire une pause ou partir. Le praticien rassemble les conditions pour que tout se passe bien. Si une personne sent que ça ne va pas bien, elle peut arrêter tout de suite.
En Feldenkrais, on travaille aussi l’image de soi
L’image que j’ai de mon corps détermine ma manière de bouger, comment je me présente au monde. Ce n’est pas seulement l’image sociale, celle que nous renvoient les autres ou que nous voulons renvoyer aux autres. Mais il s’agit surtout pour la méthode Feldenkrais, de l’image cérébrale de notre corps. On travaille ici avec l’image de soi de la personne qui est le résultat de son parcours personnel, culturel et/ou professionnel, puis grâce à la pratique, nous cherchons à développer une image de soi plus riche, moins rigide capable de se métamorphoser.
Pendant une séance de Feldenkrais, nous pouvons travailler sur l’image que nous avons de nos orteils. Très souvent ignorés dans nos sociétés actuelles tout au fond de nos chaussures. Surtout le troisième orteil, nous avons du mal à nous le représenter, à le sentir à travers nos sens internes, à le localiser les yeux fermés. Par différents gestes, nous créons plusieurs connexions avec cette partie du corps et le cerveau. Nous créons au fur et à mesure une image plus complète du pied. C’est un travail des sensations qui va nous permettre de mieux bouger les pieds, les orteils, lorsque nous sommes debout, de sentir leurs appuis au contact du sol, d’être dans un équilibre dynamique permettant de nous adapter à tout type de sol, à toute circonstance.
Le terme "Pleine conscience", lui aussi à la mode, comment s’articule-t-il avec votre pratique ?